Hong-Kong, Macao, Delta des perles : une pollution atmosphérique coûteuse
Le delta de la rivière des Perles, avec ses deux mégapoles Hong-Kong et Macao, est l'une des régions de Chine les plus dynamiques économiquement, et aujourd'hui une croissance annuelle de plus de 12 % est encore prévue jusqu'en 2020. Pourtant, la pollution atmosphérique y est tellement dense qu'elle réduit la visibilité en plein jour. Face aux conséquences sanitaires de mieux en mieux connues, les autorités chinoises mettent très lentement en place une surveillance et des normes de la qualité de l'air.
Petit territoire de 42 km2 à peine, le delta de la rivière des Perles, dans la province du Guangdong, ainsi que les régions administratives spéciales de Hong-Kong et de Macao, forment la région la plus riche et économiquement la plus dynamique de la Chine. Elle compte en effet parmi les pôles de production pour l'exportation les plus actifs de la planète depuis que cette capacité y a été développée, au début des années 1980
Le prix de la croissance
Face à une croissance aussi rapide, l'environnement se dégrade considérablement, comme en témoigne la détérioration de la qualité de l'air. Toute la région souffre des émissions polluantes rejetées par ces activités, y compris par le transport terrestre et maritime. Le graphique 1 illustre la diminution progressive de la visibilité à Hong-Kong, où des données fiables ont été collectées entre 1977 et 2006. Ce phénomène constitue un bon indicateur de l'aggravation spectaculaire de la pollution atmosphérique. À compter du milieu des années 1990, le problème a nettement empiré : le nombre de jours de brouillard a fortement progressé, au point qu'en 2003 et 2004, il est arrivé que certains mois, la plupart des journées soient brumeuses. Ce problème touche toute la zone du delta de la rivière des Perles.
La pollution atmosphérique fait planer sur les habitants de cette région une nouvelle menace sanitaire, dont on cerne plus clairement l'ampleur depuis peu, la collecte de données et les travaux de recherche à ce sujet étant relativement récents. Malgré l'essor économique de cette région, les chercheurs ont en effet longtemps négligé la question des répercussions de cette pollution sur la santé. Une étude des publications locales et internationales consacrées à ce sujet entre 1983 et 2007 révèle non seulement l'absence de travaux directement pertinents, mais aussi les nombreuses lacunes dans la compréhension des conséquences de la pollution atmosphérique sur la santé de près de 50 millions d'habitants de la région2. Des travaux récents et précurseurs, publiés en 2008, ont montré que le nombre annuel de décès imputables aux niveaux de pollution de 2006 avait prudemment été estimé à 10 000, dont 94 % dans le delta et le reste à Hong-Kong et Macao. De plus, chaque année, la pollution atmosphérique est responsable de quelque 440 000 journées d'hospitalisation et de 11 millions de consultations en hôpital de jour, qui, du fait de la baisse engendrée de la productivité, coûtent 1,8 milliard de yuans par an dans la région du delta, 1,1 milliard de dollars de Hong-Kong à Hong-Kong et 18 millions de dollars de Hong-Kong à Macao. Corrigé des différences de PIB par habitant dans la région, le coût sanitaire annuel de la pollution atmosphérique dans le delta est sept fois plus élevé qu'à Hong-Kong, puisqu'il ressort à 6,7 milliards de yuans3. Les experts estiment que ces constats révèlent l'existence d'une menace pour la santé de nombreux habitants de la région, qui souffrent d'affections requérant des consultations médicales, des hospitalisations, et qui conduisent parfois à un décès prématuré. On peut en déduire que les désagréments et la soufFrance de la population sont considérables, mais difficiles à chiffrer sur le plan économique. Les estimations financières ne représentent donc qu'une petite fraction du coût réel de la détérioration de la santé pour la population3-4.
Des politiques publiques à élaborer
Des priorités. On peut en apprendre beaucoup sur la manière dont la région traite le problème de la pollution atmosphérique et dont les villes et les agglomérations doivent intégrer diverses disciplines dans l'élaboration des politiques publiques des autorités. La première difficulté consiste à savoir à quel rang placer la santé publique dans la longue liste des priorités. Si l'on considère que le développement économique constitue l'objectif politique ultime, on sacrifie souvent la santé publique. Dans la plupart des cas, la population n'imagine pas à quel point sa santé est mise en péril. Le graphique 2 présente la pyramide des effets néfastes pour la population. À Hong-Kong, dont le PIB par habitant s'établit déjà à 30 000 dollars (2008), les autorités ont attendu 2009 pour admettre qu'il fallait revoir les normes de qualité de l'air dans la ville - qui n'ont pas été actualisées depuis 1987 -, en tenant dûment compte de l'impératif de protection de la santé publique
Des normes. La deuxième difficulté consiste à déterminer qui doit fixer les normes de qualité de l'air. En effet, si les autorités ne s'engagent pas à dépolluer, les progrès seront lents, car une réduction massive des émissions portera inévitablement atteinte aux avantages acquis dans la production d'électricité, l'industrie et les transports, secteurs qui jouissent en général d'une influence considérable sur le processus politique. À Hong-Kong, c'est la société civile, plutôt que les autorités, qui a donné l'impulsion à l'alignement des normes sur les dernières recommandations de l'Organisation mondiale de la santé relatives à la qualité de l'air (publiées en 2006) afin de protéger la santé publique. Pour y parvenir, il a fallu engager des travaux de recherche sur plusieurs années, puis en diffuser largement les résultats mettant en évidence les effets de la pollution atmosphérique sur la santé de la population hongkongaise
Des études. La troisième difficulté consiste à se doter d'un ensemble de données complètes sur les émissions et la santé grâce auxquelles les décideurs pourront concevoir des solutions fondées sur des preuves. Les données sur la pollution atmosphérique à Hong-Kong sont les plus exhaustives et les plus fiables de toutes celles portant sur la région métropolitaine, mais, comme nous l'avons déjà indiqué, les travaux de recherche sur la santé publique font encore cruellement défaut. Il est donc urgent de procéder à des études à long terme sur des cohortes, car c'est la seule façon de mesurer précisément le nombre d'années de vie perdues à cause de la pollution atmosphérique. Pour le delta de la rivière des Perles, le problème ne tient pas seulement au fait que ces données sont lacunaires, mais aussi à la difficulté d'y accéder. La collecte et la compilation de données précises sur les rejets dans l'atmosphère requièrent une compétence spécifique qu'il s'agit d'acquérir. La Chine affiche des progrès notables dans ce domaine, mais l'on s'interroge encore sur la fiabilité de ses données. De plus, une grande partie des informations dont disposent les autorités ne sont pas accessibles au public, et il faudra encore un certain temps avant que la Chine n'en ouvre l'accès à tous. Qui plus est, les recherches font défaut en ce qui concerne l'impact de la pollution atmosphérique sur la santé publique dans le delta de la rivière des Perles, et le problème de l'accès aux données se pose ici aussi2.
Une planification. La quatrième difficulté consiste à comprendre que l'amélioration de la qualité de l'air et de la gestion de la santé publique passe par l'intégration de plusieurs fonctions des pouvoirs publics. Même à Hong-Kong, les autorités préfèrent les solutions en fin de processus (au point de rejet) aux solutions intégrées, pour des raisons de facilité. Ainsi, à la fin des années 1990, elles ont fait des efforts pour importer du carburant diesel à teneur ultra-faible en soufre destiné aux véhicules commerciaux et pour subventionner les propriétaires de taxi afin qu'ils passent du diesel au GPL. Toutefois, elles sont encore réticentes à interdire les moteurs anciens, à instaurer des péages ou à créer des zones à faibles émissions. Par conséquent, si les pouvoirs publics ont mis en place un système de subventions pour inciter les propriétaires de camions à remplacer leurs véhicules, aucun délai n'est encore fixé pour l'interdiction des camions très anciens et très polluants de type pré-Euro et Euro-I. Les zones piétonnières sont restreintes et peu nombreuses. Dans une ville aussi densément peuplée, les solutions en bout de chaîne se révèlent incapables de supprimer la pollution à proximité des axes routiers. Elles doivent être associées à une planification et à une gestion bien pensées, ainsi qu'à des initiatives de tarification si l'on veut qu'elles donnent des résultats satisfaisants. Ce succès passe par une volonté politique inébranlable et par une coordination entre les différentes administrations publiques chargées de la protection de l'environnement, des transports, de la police, de l'urbanisme et de la santé publique. Il convient de souligner que, dans une ville telle que Hong-Kong, la principale menace que la pollution atmosphérique fait planer sur la santé provient des véhicules : une grande partie des 7 millions d'habitants vivent et travaillent à proximité d'un axe routier fréquenté. Sachant que 40 % de la pollution relevée à proximité des axes routiers à Hong-Kong émane des bus diesel, il est grand temps que les autorités prennent des mesures bien plus fermes
Une collaboration. La dernière difficulté se rencontre pour la collaboration transfrontière. Au sein de la région, les normes de qualité de l'air, la législation et les systèmes administratifs sont très disparates. Toutefois, en 1999, les autorités de Hong-Kong et du Guangdong ont lancé un inventaire des émissions dans la région, qui devra être actualisé régulièrement, et les deux parties sont convenues de réduire leurs émissions suivant le principe de l'effort maximum
quel développement pour demain ?
Plus récemment, la Commission nationale de recherche et développement chinoise (l'autorité nationale de planification) a publié les grandes lignes d'un plan de développement pour le delta de la rivière des Perles. Ce plan prévoit de faire progresser le PIB par habitant de 38 000 yuans en 2008 à 135 000 yuans d'ici 2020. Un tel bond suppose une croissance en volume de 12 % par an. Néanmoins, ce plan comporte une faille : il ne traite pas la question de la demande de ressources énergétiques, ni des écosystèmes fragiles. Si Hong-Kong et Macao ne sont pas incluses dans ce plan, elles sont censées y collaborer, y compris pour l'instauration d'un environnement plus vert et plus sain pour toute la région
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